21-26 mars 1918

De l'offensive sur Saint-Quentin à la conférence de Doullens

Le 26 mars 1918, près de quatre ans après le début de la Grande Guerre, les chefs de l'Entente franco-britannique se réunissent en catastrophe à Doullens (Somme), à quelques kilomètres au nord de Compiègne.

Cinq jours plus tôt, le 21 mars, les Allemands ont joué leur va-tout en donnant un vigoureux coup de boutoir sur le front occidental. Avec cette offensive du Printemps,  aussi baptisée bataille de l'Empereur (Kaiserschlacht), ils veulent à tout prix remporter la victoire avant l'entrée en action des Américains.

La conférence interalliée de Doullens se donne pour but de coordonner enfin les forces alliées et d'éloigner le spectre de la défaite.  En deux heures, les chefs militaires et politiques vont se mettre d'accord pour désigner le général français Ferdinand Foch (66 ans) comme généralissime des armées alliées. Le 18 juillet 1918, grâce à cette initiative, ils stopperont enfin l'offensive du Printemps... 

André Larané

Troupes de choc allemandes sur le front ouest (21 mars 1918)

21 mars 1918 : Michaël ou l'offensive allemande de la dernière chance

Le commandant en chef des forces allemandes, le général Erich Ludendorff (53 ans), veut mettre à profit la paix inespérée avec la Russie bolchévique et la défection roumaine. Dès la signature de l'armistice du 15 décembre 1917 avec les Russes, il a commencé à transporter des divisions allemandes du front russe vers le front occidental, laissant à l'Est près d'un million d'hommes.

Cette opération de la dernière chance, baptisée Michaël, est prévue pour débuter le 21 mars 1918, au début du printemps, afin que les chevaux, encore très nombreux dans les services de transport, puissent être nourris sans problème.

Soldats britanniques gazés sur la Lys, le 10 avril 1918 (photo : ECPAD)Elle est en premier lieu destinée à percer le front allié en Picardie, dans la région de Saint-Quentin, entre les zones d'action anglaise et française.

Elle va engager 65 divisions d'infanterie sur les 192 que comptent les Allemands sur le front occidental (une division allemande compte près de quinze mille hommes).

Selon la tactique inaugurée à l'automne précédent, l'offensive débute au petit matin par un bombardement court mais très violent de trois heures, assorti d'obus à gaz. Du jamais vu encore en intensité, même à Verdun !

Ensuite vient un feu roulant avec bombes fumigènes derrière lequel progresse l'infanterie, équipée de masques à gaz !...

Ludendorff engage ses meilleures troupes dans la bataille, des troupes d'assaut ou Sturmtruppen spécialement entraînées, ainsi que l’Abteilung 1 composé de 5 tanks allemands A7V... et de 5 tanks Mark IV enlevés aux Britanniques.

Bombardement de la rue de Rivoli par des avions le 12 avril 1918 (photo : ECPAD)Les Allemands arrivent qui plus est à bombarder Paris avec des avions et trois canons géants cachés dans la forêt de Saint-Gobain, à 140 km au nord de la capitale.

Pour la première fois en plus de trois ans de guerre, le front est percé. Dès le premier jour, la rupture est obtenue sur la ligne du canal Crozat, qui relie l'Oise à la Somme, face à la Ve Armée anglaise du général Gough, laquelle n'y peut rien faute d'avoir été renforcée par le commandant en chef Douglas Haig.

Celui-ci a bien été informé de l'imminence de l'offensive mais il en veut aux Français d'avoir dû étirer son front vers le sud, au niveau de la Ve Armée et ne veut pas faire plus.

Du fait de leur mauvaise coordination, les alliés vont très vite entrevoir le spectre de la défaite. Péronne tombe aux mains des Allemands. Noyon est menacée.

Le maréchal Douglas Haig doit en rabattre et supplier son homologue Philippe Pétain de lui envoyer des troupes en renfort pour pallier à l'insuffisance de la Ve Armée et maintenir la continuité de la ligne de front.

Lui-même, sous la poussée allemande, rabat ses troupes vers le nord, pour protéger avant tout ses liaisons avec les ports de la Manche, au risque d'ouvrir la brèche entre troupes britanniques et françaises.

Pétain ne peut faire autrement que d'accéder à ses demandes. Il comble les brèches laissées par les Anglais avec des troupes de réserve et des divisions venues de Champagne, au risque de fragiliser le front de la Marne. Mais il souhaite aussi protéger Paris, au sud.

Le 23 mars 1918, les deux alliés Pétain et Haig se rencontrent à Dury, près d'Amiens, pour tenter de concilier leurs exigences respectives. Mission impossible. Le même jour, la Kölnische Volkszeitung parle déjà de victoire : « La paix de l'Allemagne sera la paix de l'Europe ».

À Paris, en recevant le rapport de Pétain, le vieux président du Conseil Georges Clemenceau, que l'on a connu solide comme un roc, en vient lui-même à douter : « Je ne ferai jamais la paix, mais je serai peut-être renversé... Alors un autre fera la paix ». Le président du Conseil se rend à l'Élysée et rencontre le président Poincaré. Tous les deux envisagent rien moins qu'une nouvelle évacuation de Paris, comme en 1870 et en 1914 ! Dans certains ministères, on commence de faire les paquets.

Un chef reste inébranlable. C'est le général Foch. Confiné dans une fonction de chef d'état-major général sans réelle autorité, il bouillonne et répète à qui veut l'entendre la nécessité de relancer les offensives. Son heure approche mais nul ne s'en doute encore.

Le 24 mars 1918, Pétain, las de combler les trous dans le dispositif anglais, envisage dans son ordre du jour de renoncer à garantir la continuité du front. Douglas Haig en est déjà à envisager la retraite ! À Londres, le Premier ministre David Lloyd George et son Secrétaire d'État à la Guerre lord Alfred Milner ne décolèrent pas contre le maréchal qui n'a pas su utiliser ses réserves. À Berlin, pendant ce temps, l'empereur Guillaume II plastronne : « Quand un parlementaire anglais viendra plaider en faveur de la paix, il devra d'abord s'incliner devant l'étendard impérial, parce que ce qui est en jeu, c'est une victoire de la monarchie sur la démocratie » (note).

Enfin, le lendemain matin, Georges Clemenceau se ressaisit. Il n'est plus question d'évacuation. Sensible aux propos de Foch rapportés par le ministre de l'Armement Louis Loucheur, il projette sans attendre une conférence interalliée pour mettre fin aux dissidences et aux tergiversations.

La Salle du commandement unique, dans la mairie de Doullens (Somme), aujourd'hui

26 mars 1918 : le sauve-qui-peut allié

Clemenceau tient une réunion préparatoire à Compiègne le 25 mars et convoque tout son monde à Doullens, le lendemain à midi. Dans le même temps, Pétain, général en chef des armées françaises, lance un appel quasi-désespéré à celles-ci : « L'ennemi s'est rué sur nous dans un suprême effort. Il veut nous séparer des Anglais pour s'ouvrir la route de Paris. Coûte que coûte, il faut l'arrêter. Cramponnez-vous au terrain ! Tenez ferme ! Les camarades arrivent. Tous réunis, vous vous précipiterez sur l'envahisseur. C'est la bataille ! Soldats de la Marne, de l'Yser et de Verdun, je fais appel à vous : il s'agit du sort de la France ! »

Ferdinand Foch (2 octobre 1851, Tarbes ; 20 mars 1929, Paris)(Marcel-André Baschet, musée de l'Armée, Paris)À Doullens, Poincaré, Clemenceau, Foch et Pétain d'un côté, les généraux Wilson et Haig ainsi que l'émissaire de Lloyd George, Lord Milner, de l'autre, s'accordent sur la création d'un commandement unique qui réunirait Français, Britanniques et Belges.

C'est une première depuis le début de la guerre... et même depuis le remariage funeste d'Aliénor d'Aquitaine (1152) ! D'aucuns pensent à confier le poste au vainqueur de Verdun, le général Philippe Pétain. Mais Clemenceau n'en veut pas parce qu'il le considère à juste titre trop timoré et défaitiste, inapproprié à la situation.

C'est finalement Foch qui est, par un délicat euphémisme, chargé de « coordonner l'action des armées alliées devant Amiens ».

Le 14 avril 1918, il obtiendra enfin des Anglais d'être reconnu comme le général en chef des armées alliées avec, sous son autorité : Pétain (France), Haig (Angleterre), Diaz (Italie), Pershing (États-Unis). Il lui reviendra de faire face à l'ultime offensive allemande.

9 avril 1918 : Georgette riposte

À vrai dire, tandis que les Alliés se mettent enfin d'accord à Doullens, les Allemands sont quant à eux pratiquement à bout de ressources.

Ludendorff a essuyé des pertes très importantes dès le premier jour de l'offensive, environ 40 000 tués et blessés, et les nouvelles troupes qu'il envoie au feu ne sont pas aussi aguerries que les Sturmtruppen.

D'autre part, le moral des soldats est mis à l'épreuve quand ils découvrent dans les tranchées alliées abondance de nourriture et de provisions alors qu'eux-mêmes, du fait du blocus maritime, souffrent de la faim et de carences diverses...

Erich Ludendorff (9 avril 1865, Kruszewnia, Prusse ; 20 décembre 1937, Tutzing, Bavière)Le 8 avril 1918, Ludendorff lance néanmoins une nouvelle offensive plus au nord, à Armentières, face aux Anglais, avec 36 divisions d'infanterie. C'est l'opération Georgette (!). Son objectif est de couper les Anglais de leurs ports de ravitaillement. 

Le 9 avril, au petit matin, les cent mille hommes de l'armée von Quast attaquent les lignes alliées mais celles-ci ont été précédemment dégarnies pour faire face à l'offensive en Picardie.

Les Allemands ne rencontrent en face d'eux que deux divisions portugaises, à peine vingt mille hommes, qui plus est privés d'une partie de leurs officiers.

Entré tard dans la guerre pour faire bonne figure auprès de ses amis anglais, le Portugal a envoyé ces deux divisions sur le front mais, suite à un coup d'État à Lisbonne, il ne s'en est plus soucié !

Ces poilus portugais vont néanmoins se battre courageusement. Plus du tiers d'entre eux vont être mis hors combat avant que les autres se replient. Grâce à quoi, les Allemands font une percée vers Ypres et Armentières.

Ludendorff se laisse griser par ce succès dans ce qui ne devait être qu'une opération de diversion avant l'attaque décisive sur la Somme et Amiens. Il délaisse celle-ci et se concentre sur les Flandres. Voilà Dunkerque menacée !

Mais les troupes allemandes, de moindre valeur que les précédentes, commencent à ressentir la fatigue. Le 25 avril, elles s'emparent d'une position, le mont Kemmel (156 mètres), qui domine la plaine des Flandres... Elles n'iront pas plus loin.

27 mai 1918 : Ludendorff rejoue la bataille de la Marne

Le 27 mai 1918, le commandement allemand tente une troisième offensive sur le Chemin des Dames, au nord de Craonne (Aisne), déjà tristement endeuillé par l'échec des offensives françaises, un an plus tôt.

Avec 30 divisions et plus de mille batteries d'artillerie, il bouscule les neuf divisions françaises et anglaises. Les assaillants atteignent la Marne à Dormans et Château-Thierry dès le 31 mai. À nouveau, les alliés tressaillent et sentent le vent de la défaite. Mais une semaine plus tard, faute de réserves et face à la résistance ennemie, Ludendorff doit suspendre son offensive.

Au bilan, l'état-major allemand a montré sa capacité à créer la « rupture » mais n'a pas réussi à obtenir la « décision ». Certains officiers supérieurs songent à saisir cet atout pour négocier une paix de compromis et sauver ce qui peut l'être, en particulier quelques gains à l'Est, aux dépens de la Russie.

C'est aussi l'opinion du Secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Richard von Kühlmann. Le 24 juin 1918, il déclare devant le Reichstag : « On ne peut guère compter qu'une solution absolue soit obtenue par des décisions militaires seules, sans négociations diplomatiques » (note).

Hindenburg et Ludendorff, qui exercent une véritable dictature militaire, protestent aussitôt et exigent du chancelier von Bethmann Hollweg et de l'empereur le renvoi de Kühlmann. Le 8 juillet, Guillaume II cède à leur pression et exige la démission du Secrétaire d'État.

Pour quelques jours encore, l'Allemagne s'accroche à l'illusion d'une victoire totale, sous la pression de Ludendorff. La réponse viendra de Foch dix jours plus tard.

Le 18 juillet 1918, le généralissime passe à la contre-offensive avec les premières troupes américaines dans la région de Villers-Cotterêts. Pour la première fois sont utilisés à grande échelle les chars d'assaut. Les Allemands sont partout repoussés. Ils subissent leur plus grave défaite à Montdidier, le 8 août, et dès lors engagent une retraite générale. Déconfit, Ludendorff doit admettre devant l'empereur que la défaite est devenue inéluctable...

Publié ou mis à jour le : 2022-03-23 17:25:29
Jean-Claude PETERS (27-03-2018 10:05:11)

Ludendorff ne prend qu'un "D".

Boutté (27-03-2018 06:52:46)

Timoré Pétain ? Conscient de ce que"le feu tue"donc partisan de vastes préparations d'artillerie avant que l'infanterie soit envoyée au combat et puisse occuper le terrain.

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